

Lapointe, Jean de [Baron, Jean Le Bon de Lapointe]. Guerre 1914-1918 – Mes Souvenirs – Manuscrit. 1914. 17,5 x 22,5.
Deux volumes in-4 reliés en demi-basane fauve, dos lisses ornés de filets dorés, auteur, titre et tomaison dorés, couronne de baron dorée sur les plats supérieurs, tranches rouges, gardes marbrées, constitués de deux cahiers manuscrits d’une écriture ample et lisible, respectivement de [1]-104-[2] , et de 140-[1] feuillets numérotés, soit 208 et 280 pages. Le premier cahier est précédé d’une note manuscrite intitulée “Critique de ma mère, Marguerite Auffray-Lapointe” datée du jour de Noël 1920, et de la “Réponse à la critique que ma chère mère a écrite à la page précédente” datée et signée, Neuilly, janvier 1921. Il contient 8 photos de petit format collées dans le texte (ff. 58,v. et 59, r.) ou in fine. Le deuxième cahier contient deux croquis de cartes, une petite carte contrecollée, quelques collages, une photo de petit format, trois coupures de journaux datées de février 1917 et in fine, repliée, une “Permission exceptionnelle de trois jours pour mariage” datée du 30 novembre 1918. Une note manuscrite “Quelques objets rapportés d’Orient” est collée sur le dernier contre plat.
Emouvants et intéressants souvenirs de guerre du maréchal des logis Jean Le Bon de Lapointe (1887-1965, Vittefleur – Seine-Maritime), fils d’officier et descendant d’un général et baron d’Empire. Ces souvenirs sont écrits en 1919 et 1920, à partir de notes prises au jour le jour sur des cahiers, véritable “journal de route” qui fut pour Jean de Lapointe dans l’épreuve “un ami, un confident, un passe-temps”… Il fit relier ses “Souvenirs” au cours de l’année 1920, après avoir ajouté, en marge, des événements des “réflexions qui me sont venues…, et des choses datées de 1919 ou 1920”.
Le premier cahier couvre la période du 29 juillet 1914, veille de la mobilisation générale, qui le trouve à Erquery (Oise) jusqu’au 5 octobre 1915, le deuxième, la période qui s’étend d’octobre 1915 à avril 1917, date à laquelle, au retour d’Orient, il sort de l’hôpital de Marseille. Le “journal” est complété de quelques pages jusqu’à son retour définitif à la vie civile en mars 1919 et par une annexe de considérations générales dédiée à ses enfants.
Ces Souvenirs, inédits, sont riches à plus d’un titre. C’est d’abord le témoignage vivant et émouvant d’un homme de foi, éloigné des siens et de son milieu, qui fait face tantôt avec courage, tantôt avec une résignation “cafardeuse” aux horreurs d’une guerre qui n’en finit pas. La solitude semble d’autant plus grande, que Lapointe, employé à Paris en 1914 à la Compagnie de Suez et issu d’un milieu d’officiers de cavalerie (son père Saint-Cyrien, sa belle-famille Perrodon, son beau-père polytechnicien, ses relations familiales et amicales, colonel de Loustal, le commandant Gratiolet, Bonnet administrateur de Suez, Arnold de Ronseray, Louis d’Hauteville tué à Douaumont en 1916, le colonel Romazotti ” ami intime de la famille ” [cavalier, saint-cyrien, Inspecteur permanent de l’Aéronautique militaire depuis 1913], Prouvé-Drouot, la famille de Verclos à Marseille, André Faure administrateur civil de l’hôpital Lyonnais à Salonique, le comte Chabanne-Lapalice), est confronté rapidement en tant que sous-officier à une hiérarchie militaire obtuse, aux ordres et contre-ordres quotidiens, à la désorganisation générale. Ce décalage en quelque sorte social et culturel nourrit un fort ressentiment contre le gouvernement franc-maçon et l’institution militaire, où se mêlent l’absurdité de la réalité quotidienne, la débâcle générale et les représentations politiques d’un milieu qui n’a pas oublié les Inventaires et l’affaire des fiches.
Le manuscrit apparait également comme une intéressante contribution à l’étude du rôle du Service Automobile dans le déroulement de la guerre sur les fronts du nord et de l’est, mais aussi en Orient à partir de Salonique. En effet Lapointe rejoint de lui-même le 2 août 1914 le 2ème Train à Amiens et est d’abord affecté au Dépôt de la Remonte mobile (2ème Hussards). Il assiste dans la Meuse à la retraite générale, puis à l’évacuation d’Amiens début septembre 1914. Après un long périple, il se retrouve à Vannes, où convergent régiments et civils. Il réussit à récupérer sa voiture “Une Charron découverte 6 places rapide livrée 9 semaines avant la guerre, toute neuve”. Il se met à la disposition de la Commission de Réquisition du Morbihan et devient automobiliste de la Place de Vannes…Début Janvier 1915, il rejoint le Parc Automobile de Versailles (Capitaine Stehlé) et est versé à la T.M. 121 bis. Après une période de formation, il part vers Le Havre pour chercher un convoi de voitures américaines et le 30 janvier 1915, il est versé dans la T.M. 348 et part, direction Châlons -sur-Marne, sur des camions américains White. Le récit de Lapointe donne la mesure, jour après jour du rythme infernal des conducteurs de camions, qui transportent les troupes sur le front au grès des offensives et des contre-attaques…au risque des “marmites boches” ou des “fléchettes” lancées par les “Taubes”. Il est à Ypres, à la frontière belge en avril 1915, et passe (avril – juillet 1915) dans la IVe Armée à la Réserve du Grand Quartier Général, dite Réserve Lambert, qui fut la première Réserve automobile, composée de 2000 White pouvant intervenir à tout moment (Beauvais). Après un bref passage à Erquery, dans une maison occupée cette fois par les soldats français, il repart (28 juillet -21 octobre 1915) en Champagne et participe à l’offensive d’automne de la Marne. Delcassé démissionne en octobre.
Les soldats s’installent dans l’hivernage, construisent des “cagniats”. Le cafard est quotidien. Lapointe mène une vie de bucheron de novembre 1915 à juin 1916 à côté de Provins, dans la forêt de Jouy, pour faire des traverses de chemin de fer. En janvier 1916, il fait une demande volontaire pour le Corps expéditionnaire d’Orient. La période de formation sur des Packards américains (T.M. 389), équipés de bandages “Bergougnan” de Clermont-Ferrand, est suivie par le voyage vers Marseille, la découverte de la ville et de la “pétodière” marseillaise (février-mars 1916). Le départ de Toulon vers Salonique a lieu le 20 mars 1916 sur le Paquebot Théodore-Mante, de la Cie Mixte-Touache, qui prendra à l’escale de Malte les rescapés de “La Provence”, torpillé au large du Cap Matapan le 26 février précédent. Lapointe décrit Salonique et ses missions de transport de matériel et de ravitaillement notamment vers Gallicista auprès de l’armée serbe et à Séres, à la frontière gréco-bulgaro-turque. La nomination du général Sarrail (mai 1916) à la tête de l’Armée d’Orient est vivement critiquée. Lapointe raconte la proclamation de l’état de siège à Salonique (3-5 juin 1916), suite à l’abandon par les Grecs du fort de Rupel aux Bulgares. En septembre, c’est le départ (T.M. 335) vers Verria en Macédoine, Florina, Sorrowitch, Banica, Ecksisson (?) sur la route Salonique-Monastir, dans le Groupe du capitaine Besnard, sous les ordres du général Cordonnier (septembre-décembre 1916).
C’est Lapointe qui apporte le premier ravitaillement à Monastir le 19 novembre. Mais le 20 janvier 1917, lors d’un convoi à Monastir, un obus tombe à ses côtés provoquant “une douleur dans le ventre épouvantable”. Il est rapatrié à Salonique à l’Hôpital Lyonnais n°1 après un dur voyage dans un wagon à bestiaux. Il embarque le 15 février 1917 sur le Sphynx, navire hôpital des Messageries Maritimes et sera hospitalisé à Marseille. Le journal se termine en avril 1917. Lapointe le reprendra en mars 1919, après avoir été démobilisé: il le présente comme un résumé de sa vie de 1917 à 1919, dominé par la perte de sa femme en 1917, sa longue convalescence, sa reprise de service et son second mariage en décembre 1918 avec Marie Huguette le Filleul des Guerrots [Heugleville, château des Guerrots, 76]. “Le 11 novembre 1918, nous étions à Hieson, auprès de la frontière luxembourgeoise, lorsque l’armistice nous arriva. Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, l’armistice n’a pas été salué au front par une grande joie. Nous étions habitués à cet état de vie, L’intelligence, la conception n’avait plus d’individualité et la fatalité était notre état d’esprit à tous: nous n’étions plus des hommes, nous étions des automates“…(Vol. II, f. 130v.). Manuscrit bien relié, en très bonne condition.
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